La semaine dernière, j’ai profité d’une journée Innovation, médiation, communication en espace muséal faire un petit tour au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes (aka « le musée de mon enfance ») et découvrir l’expo Une Histoire du monde en 100 objets du British Museum.
Comme son titre l’indique, l’expo regroupe 100 objets des collections du British Museum. Il s’agit d’une expo itinérante, qui a vu le jour suite au podcast éponyme de la BBC – A History of the World in 100 Objects, 100 émissions de 15 minutes où Neil MacGregor, directeur du British Museum, racontait en 2010 une Histoire du monde à travers 100 objets choisis. La première exposition tirée a eu lieu en 2014 et elle a été présentée dans plusieurs ville d’Asie et d’Australie, avec à chaque fois 30 à 40 objets propres à chaque expo. Son passage à Valenciennes est la toute première présentation des objets en Europe, prouvant qu’il n’y a pas besoin d’être Paris pour accueillir des expos de cette envergure (on espère constater au moment du bilan que les visiteurs ont répondu présents).
Une histoire du Monde en 100 objets, l’expo
En toute honnêteté, un titre de ce type fait un peu flipper : on craint le catalogue d’objets en manque de cohérence. Erreur ! L’ensemble est pensé autour de thèmes tels que l’émergence de l’outil, de la mémoire, de la poterie, de l’écriture, de la religion, de la science, des échanges commerciaux mondiaux… avec un dialogue entre objets de différents continents et époques (une pierre qui ressemble beaucoup à une pierre mais est un mortier, un sarcophage en pierre, des figures funéraires Tang, un astrolabe…).
Mon objet préféré a été la Lyre de la Reine, qui date de -2600, a été trouvée en Irak et a été en partie restaurée à partir de tablettes en cunéiforme. Elle est suivie de près par le sublime cristal de Lothaire (demandé spécialement pour l’exposition à Valenciennes), la pierre gravée d’un bison (seul objet fabriqué en France), la très touchante main arabe en bronze, le petit bassin aux poissons japonais, la robe d’enfant en cuir brodé de perles par les Indiens d’Amérique et la tablette du déluge, qui raconte l’histoire de Gilgamesh qui aurait sauvé sa famille et tous les êtres vivants d’une catastrophe naturelle de type grosse pluie (et dont l’histoire a été écrite bien avant la Bible, au cas où elle vous rappellerait quelque chose).
Mention spéciale du Jeu d’Echecs de Lewis, que les amateurs de Harry-Potter-les-films reconnaîtront comme une source d’inspiration pleinement assumée. En revanche, ça, si le médiateur ne le dit pas, on ne l’apprend nulle part, or c’est précisément l’info que j’aurais voulu avoir (mais leur chatbot est particulièrement chou).
La richesse des collections du British Museum permet aussi de raconter une Histoire du monde aussi par son internationalisation. On trouve ainsi pour illustrer le commerce triangulaire des bracelets en cuivre qui servaient de monnaie pour l’achat d’esclaves, exposés juste à côté d’objets décoratifs que faisaient fondre avec ce cuivre des puissants au Bénin. Et sur une note bien plus légère, des objets tels qu’une carte bleue, des badges politiques ou une contrefaçon de maillot – fabriqué en Chine, acheté en Indonésie – de l’équipe de France de Pogba, né de parents guinéens et jouant entre la France et le Royaume-Uni.
Chaque musée accueillant les 100 objets fait sa propre scéno – petit bémol d’ailleurs de ce côté : l’effet global est top, mais comme dirait ma mère : « il faut une bonne acuité visuelle pour lire du texte imprimé sur de la toile ». Autre chose que j’ai trouvée regrettable : les photos sont interdites (au cas où les ayants-droit du Cristal de Lothaire se manifesteraient ?) et ça, c’est tout de même bien dommage.
Vous trouverez dans la collection en ligne du British Museum un bon panorama des objets exposés dans les différents éditions et/ou cités dans le podcast.
Une Histoire du Monde en 100 objets, communication & médiation
Côté comm, l’agence Entrée Public a bien bossé (et organiser une journée sur la communication dans l’espace muséal en l’axant sur son propre travail autour d’une expo, c’est – disons-le – très malin).
On nous a présenté principalement un jeu vidéo, des chatbots et des vidéos sur YouTube.
Pensé comme un escape game, le jeu mobile, réalisé par YS interactive, studio local, a l’air d’avoir trouvé son public (je l’ai testé, je suis un peu mitigée mais c’est peut-être dû à mon manque global de patience), avec des citations sur des forums et chaînes de joueurs.
Les chatbots qui permettent d’échanger avec 10 des objets exposés depuis le site sont assez sympas, même si je trouve dommage qu’aucune signalétique en salle ne renvoie vers Messenger. On y trouve quelques infos qui ne sont pas sur les cartels et chaque échange se conclut par un lien vers Google Arts and Culture, partenaire du British Museum, pour en savoir plus.
Le pont entre physique et virtuel devait être construit dans la ville par des affiches avec codes à scanner pour accéder aux chatbots, mais le budget a manqué. C’est bien dommage, parce que ça aurait été très cool que les gens puissent papoter avec un sarcophage en attendant le bus.
La vidéo sur YouTube a été réalisée par NotaBene, avec un ton et une musique d’ambiance que Frédéric Mitterrand n’auraient pas reniés pas s’il avait été YouTubeur – ce n’est pas le plus funky de ce qu’on trouve dans le YouTube-game historique, c’est assez long, mais c’est bien documenté et ça reste bien plus moderne qu’une vidéo des Éditions Atlas.
La journée s’est conclue par une table ronde entre Manon Bril (C’est une autre histoire), Daniel Schmitt (Maître de Conférence à l’Univ de Valenciennes) , Tristan Hocquet (Museomix Nord), Vincent Hadot (Directeur du Musée des Beaux-Arts de Valenciennes) et Cyrille Ballaguy (docteur en muséologie et médiateur qui se laisse surprendre par les enfants). Je vous renvoie au live-tweet (intéressant et assez complet mais rapide à rattraper) parce que le but n’est pas de dépasser les 10.000 signes ici – courage à vous parce qu’on n’en est pas loin.
Il me paraît important de spécifier que l’expo s’accompagne d’un programme de spectacles, projections, concerts vraiment dense qui engage différents quartiers, générations et lieux culturels de la ville – du théâtre contemporain pointu au Gaumont. On trouve comme souvent un livret de jeux pour enfants (estimé par ma mère à un niveau 8-10 ans) et un dossier pédagogique pour les profs.
Au final, pour une rencontre placée sous le signe de l’innovation, de la médiation et de la communication en espace muséal, j’ai trouvé qu’on a assez peu parlé – voire pas du tout – de l’espace muséal, conçu de façon très traditionnelle, avec simplement des frises qui défilent sur des écrans (que j’ai trouvés peu mémorables) et un grand écran tactile qui permet d’explorer les objets depuis une mappemonde. Bien réalisé mais pas à la pointe de l’innovation (mais bien réalisé et ça reste le plus important).
Un peu de coulisses
La stratégie du musée de Valenciennes est d’accueillir des expositions qui ne sont pas tout à fait alignées avec leurs collections habituelles pour attirer des visiteurs qui ne viennent pas habituellement. J’espère que ça marche et que les visiteurs font aussi un tour dans les salles permanentes parce que je ne répéterai jamais assez que ce musée, ses Carpeaux, Rubens, Rembrandt et son fond archéo gagnent à être connus.
Vincent Hadot a ajouté qu’il ne paye jamais pour la location d’une expo elle-même, mais qu’il paye, comme ici, pour le commissariat d’exposition. Je serais d’ailleurs assez curieuse de savoir combien ce commissariat a coûté, pour que l’entrée à l’expo coûte 8 euros pendant la Nuit des Musées (ce qui est le tarif réduit en temps normal, contre 12 euros pour le tarif plein) et parce que l’expo doit aussi être une source de revenu du British Museum.
Le British Museum impose par ailleurs deux choses : que seuls dix objets soient utilisés pour la promotion de l’expo et que tous les dispositifs disparaissent une fois l’expo finie. Si le musée qui accueille l’expo veut s’appuyer sur la bonne idée d’un prédécesseur, ça peut se faire de musée à musée mais sans l’aide du British. Ça oblige chaque musée à penser des dispositifs propres à son public, ce qui au fond n’est pas plus mal, mais c’est aussi une dépense en plus (sachant que le musée de Valenciennes a aussi fait quelques mois de travaux pour accueillir l’expo), puisque la promotion n’est logiquement pas comprise dans le coût du commissariat. Prenons l’exemple des chatbots : pourraient-ils être traduits pour les prochaines étapes de l’expo ou ressortis des cartons tels quels en cas d’expo dans un pays francophone ? On ne sait pas. De la même façon, l’avenir du jeu mobile est négociation. Ce refus de s’appuyer au moins en partie sur les investissements des uns pour aider les autres à promouvoir l’expo m’interroge – pourquoi ne pas, de la part du British Museum, associer l’expo des idées de comm que les musées sont libres d’utiliser ou non ?
Côté objets choisis pour la promo, il y en a donc 10, pas forcément les plus intéressants scientifiquement mais qui répondent aux critères suivants : pas trop politiques (ce qui éliminait le Penny des suffragettes), pas d’origine douteuse (on ne fait sa pub sur des pillages et spoliations), pas d’enjeux de copyright (exit, la carte Visa).
Encore une fois, les photos sont interdites, et ça, c’est vraiment très peu pratique (surtout pour les gens qui écrivent des billets de blog un peu longs et qui auraient se seraient volontiers appuyés sur une petite béquille de la mémoire).
On y va ?
Revenons-en à l’exposition elle-même. Au-delà de la communication et de toute l’innovation qu’on peut mettre dans une salle de musée (et qui fait malheureusement parfois un peu gadget), l’expo se tient en elle-même sans ajout tech qui comblerait une lacune, on sort avec l’impression d’avoir grignoté un petit bout de l’histoire du monde, avec des parties qu’on a vues du primaire aux cours de philo de terminale et d’autres qu’on découvre si on n’est pas diplômé en histoire. Le côté panorama permet aussi une histoire moins européano-centrée que ce dont on a l’habitude, ce qui est plutôt rafraichissant. Vous avez jusqu’au 22 juillet pour découvrir Une Histoire du monde en 100 objet du British Museum, si vous avez le temps d’y aller, n’hésitez pas !