(J’ai aussi joué Balthazar dans la crèche de l’école en tant que rare personne de couleur, mais honnêtement Roi mage n’est pas un choix de vie aspirationnel pour une enfant de huit ans.)
Je ne me souviens pas vraiment d’avoir ressenti la possibilité ou l’envie de réellement m’identifier à quelqu’un d’autre. En revanche, je me souviens de toutes les fois où ma mère coiffait mes boucles, dans la douleur et parfois les larmes, et je me souviens de toutes les fois où je regardais avec envie les cheveux lisses de mes camarades de classe qui, en plus d’être facile à coiffer, avaient l’avantage de moins étonner et moins être tripotés que les miens.
Et puis, peu à peu, par le regard des autres, alors que j’avais grandi dans un environnement très blanc, que je n’ai jamais mis un pied en Afrique et que je me sens plus franco-polonaise qu’autre chose, une autre identité est venue se superposer. Par le regard des autres, je faisais soudain partie d’une subdivision. Par le regard des autres, qui eux-mêmes ne se définissaient pas forcément par leur couleur de peau, je suis devenue noire.
Finalement, c’est un peu comme ça que je suis devenue féministe. Je n’ai jamais vraiment manqué de modèle féminin fort (je viens d’une famille matriarcale où le gender gap est inversé), mais je me suis un jour rendu compte que si j’étais intimement persuadée que les femmes pouvaient tout faire, j’avais une forme de réserve internalisée quant à ma possibilité de tout faire en tant que femme métisse. Sans l’intersectionnalité, j’aurais sans doute mis un peu plus de temps à prendre conscience de certaines inégalités et injustices.
Cette histoire d’intersectionnalité et de manque de modèles nous amène à Shonda Rhimes. On peut me considérer sérivore. Je ne regarde pas tout, mais je binge très facilement. Je n’ai jamais pu me résoudre à commencer Grey’s Anatomy parce que House MD est la série médicale à laquelle j’ai donné mon coeur, mais bien que j’ai découvert Scandal un peu tard, j’en ai dévoré les deux premières saisons. Si Olivia Pope n’est peut-être pas la première femme noire à afficher son pouvoir et ses responsabilités (Beyoncé, Michelle Obama), c’est la première fois que je voyais une fiction se dérouler autour d’une femme noire, comme si moi aussi je pouvais demain gérer les crises du Président des Etats-Unis – d’ailleurs, mon père avait un caractère assez proche de celui de Rowan.
À force de chercher des conseils pour prendre soin de mes boucles (nous sommes enfin en paix, merci), j’ai pas mal traîné sur des sites et blogs spécialisés dans le cheveu africain.
Ce qu’il en ressort, c’est que le cheveu crépu se retrouve souvent lissé, abîmé, coupé, tissé pour mieux correspondre aux standards occidentaux. Même si tous mes cheveux sont les miens, je me suis retrouvée d’une certaine façon dans la scène où Annalise se défait des artifices de la journée, dans ce besoin de rendre son apparence plus proche de certains canons, de la lisser, de la rendre plus claire.
Annalise Keating et Olivia Pope représentent des femmes de pouvoir, mais elles ont aussi leurs doutes, et ces doutes sont liés au fait qu’elles sont des femmes, mais aussi au fait qu’elles sont noires (et au fait qu’elles passent leur temps à couvrir des meurtres, certes). C’est ce qui les rend réelles, c’est ce qui fait que l’on peut s’identifier à elles, qu’on a envie de les prendre en modèle.
Quand Viola Davis dit en recevant son historique Emmy que “the only thing that separates women of color from anyone else is simply opportunity. You cannot win an Emmy for roles that are simply not there”, j’ai envie de lui répondre que c’est aussi plus simple de s’imaginer aller vers l’infini et au-delà en tant que femme noire ou métisse si les médias montrent la voie.
J’aurais voulu que le Shonda Thursday soit là quand j’avais huit ans. Et j’espère que même sans Shonda Rhimes, les femmes noires seront encore plus nombreuses dans les médias quand j’aurai des enfants (même s’ils risquent d’être très clairs – disons qu’au moins ça servira aux enfants des autres).