« Ce sont les seules fleurs dont les gens acceptent avec autant d’enthousiasme qu’elles cristallisent aussi vite. C’est amusant pour nous, les fleuristes », m’explique celle qui emballe dans une grande feuille de kraft blanc trois branches de mimosa. Elle fixe le tout d’un morceau de raphia sous lequel elle glisse, sans trop y croire, un petit sachet de sels qui devrait prolonger la vie des fleurs.
J’étais heureuse d’avoir des fleurs qui ne tiendraient pas trop longtemps : il me restait cinq jours chez moi avant de repartir en voyage et j’ai toujours l’impression que des fleurs que personne ne regarde sont gâchées. La fleuriste a souri quand j’ai mentionné « une petite semaine » et m’a promis plutôt une heure de bonheur – c’est déjà pas mal, quelque part.
Je me délecte sur le chemin du retour de cette arrivée de lumière dans une journée un peu grise. On aimerait presque que l’hiver dure encore un peu pour profiter du contraste de ces petites étoiles sur un ciel nuageux. Je rentre, mets de l’eau dans un vase, verse les sels dans l’eau, arrange le bouquet et le pose au milieu de la table basse. Comme promis, au bout de quelques heures, certains astres commencent à s’éteindre. Le lendemain, ce sont des constellations entières qui tirent vers l’ocre. Du cobalt, le bouquet glisse de jour en jour un peu plus vers un camaïeu qui mêle ambre clair et orpiment. Pas un seul pompon n’est tombé, mais tous ont perdu leur duvet léger pour laisser place à des petites boules sèches, au milieu de feuilles dont le vert reste intense. La veille du départ, dans le noir, je ne vois plus le bouquet, mais son odeur me rappelle qu’il est là. À force d’imprimer sur ma rétine d’hiver les bosquets de mimosa sur le trottoir des fleuristes (ou par écrans interposés ?), au milieu de l’agitation de la grande ville, du vent et des pots d’échappement, j’en avais oublié son odeur, qui persiste une fois les fleurs fanées, et qu’on sent peut-être d’autant plus qu’on s’en étonne une fois les fleurs fanées. Une odeur douce et enivrante odeur de miel qui m’accueillera encore à mon retour.