L’électro, c’est le fond sonore d’un des moments les plus importants de ma vie : le premier truc que j’ai gagné à un tirage au sort sur Internet (aka un concours où il n’était nécessaire d’être ni bonne en maths, ni bilingue dans une langue ayant des similitudes avec le russe), c’était le CD de Love Don’t Let Me Go de David Guetta, accompagné d’un t-shirt de la Techno Parade 2002.
Les musiques électroniques ont aussi été la bande-son de mon automne-hiver 2019, un peu grâce au livre Musiques électroniques – des avant-gardes aux dancefloors de Guillaume Kosmicki – que j’ai forcé mon frère à me prêter –, un peu grâce au Festival d’Automne, qui a mis Merce Cunningham à l’honneur (et donc forcément John Cage).
Si vous avez raté les spectacles et vous intéressez à la façon dont Cage a transformé la musique pendant que Cunningham a transformé la danse, YouTube est votre ami – parlons plutôt du livre.
Déjà, pour décomplexer tout le monde, dans un univers où chacun·e se vante de lire 2364 livres/an, j’ai commencé ce livre le 16 octobre (date à laquelle j’avais prévu de le finir) et je l’ai terminé le 22 janvier, précipitamment parce que je n’avais pas envie de le glisser dans une valise de plus. À ma décharge, j’ai perdu la possibilité de lire dans les transports en faisant du vélo (et de toute façon, je travaille de chez moi).
Aussi, le livre fait 375 pages, à commencer par 100 assez techniques sur les premiers synthétiseurs, la naissance des instruments électroniques et l’émergence des méthodes d’enregistrement.
Pendant ces 100 pages, j’ai enfin été reconnaissante envers mes parents de m’avoir forcée à passer un bac S (le peu que j’ai suivi en physique étant suffisant à comprendre le principe d’ondes et d’électricité appliqué à la musique électronique) et me suis promis plus d’une fois, dans la douleur et les larmes, de ne plus jamais écouter de musique en général et de musiques électroniques en particulier.
Une fois cette mise en jambe passée, on se pose avec plaisir des questions sur la façon dont la possibilité d’enregistrer et dupliquer la musique a permis de faire évoluer les genres musicaux, sur le lien entre le genre et le support, sur les heureux accidents qui ont fait que les musiques électroniques sont ce qu’elles sont aujourd’hui. Quels pays et écosystèmes ont été un terreau fertile aux innovations musicales et pourquoi ? Comment se faisait la diffusion des innovations musicales avant internet – et à quel point les artistes de Detroit ou Chicago avaient-ils conscience de leur influence ? Comment les politiques ont-ils permis aux musiques électroniques de fleurir dans la marge – ou ont-ils au contraire freiné ses mouvements ? L’hybridation des genres fait-elle que toute musique enregistrée est électronique, de Kanye et PNL aux albums classiques dont la musique est simple réarrangée et corrigée grâce à un ordinateur ? La French Indietronica (sic – mon genre musical le plus écouté de 2019 selon Spotify) est-elle un amalgame d’artistes rassemblés par un ténu fil rouge, comme le Krautrock avant elle ?
Et puis je me suis remémoré l’été 2003, à écouter en boucle Tourist de St Germain et l’entêtant “I want you to get together” de Rose Rouge, j’ai réécouté attentivement les Beach Boys (enfin, surtout Good Vibrations et son thérémine) – et pour la première fois écouté en entier des albums des années adolescentes (Human After All, en dehors de ses singles, est passé loin de mon radar de personne qui vivait sa meilleure adolescence sur les Stones). J’ai revu ma fascination face aux musiciens de Gotan Project à l’œuvre devant les synthés en 2011, l’été dernier qui a sur les terrasses de Versailles aux rythmes des DJ Ed Banger et ma transe en festival devant Nils Frahm.
À quelques pages de la fin, j’ai réalisé un rêve d’ado : acheter un thérémine (le premier qui me parle de Led Zep a perdu), prendre un cours, en jouer. Eh oui, 375 pages sur les musiques électroniques pour se mettre pratiquer celui par qui tout a commencé, allez comprendre.
Si j’ai mis autant de temps à lire ce livre, c’est aussi que les 16 dernières pages sont une discographie très assez complète, que l’on savoure avec attention, de – au hasard — Their Satanic Majesties Request à tout Aphex Twin, en passant par Funky Drummer de James Brown et Mwandishi de Herbie Hancock, le meilleur de la House de Chicago, Karlheinz Stockhausen et les artistes Infiné.
Un livre riche, parfois bavard, mais qui ne dévie jamais de sa ligne directrice (contrairement à ce billet, par exemple) et dans lequel on se plonge avec la délectation de la (re)découverte musicale et de la prise de recul sur ses propres écoutes.