Cet été a été riche d’expositions dédiées aux icônes de la mode. Rei Kawakubo au Met (qui peut me téléporter à NYC ?), Dalida au Palais Galliera (si si), Dior aux Arts Déco… et bien sûr, Martin Margiela à l’époque de son passage chez Hermès (1997-2003) au Momu à Anvers.
Après m’être longtemps dit que le Modemuseum serait le prochain musée étranger que je visiterais (et longtemps repoussé cette visite), j’ai fini par prendre le train un jour de juin pour l’exposition Margiela, les années Hermès. Pourquoi celle-ci ? Parce qu’à bien y réfléchir, Margiela est le premier créateur (avec Rei Kawakubo) sur lequel je me suis vraiment arrêtée en feuilletant un magazine. Des années plus tard, je me souviens encore de cet article de Elle (paru après son départ de chez Hermès déjà) sur la blancheur chez Margiela, sur l’anoblissement dans ses créations des objets du quotidien, l’attachement aux techniques, à la couture et au geste, sur la discrétion du créateur derrière les créations, sur la création d’un univers complet à la fois épuré et jouant avec les codes du luxe. Et Hermès, c’est évidemment, se retrouve dans ce soin de l’objet et du vêtement, dans ces créations rendues précieuses par l’artisanat, par la création d’un exceptionnel par la fabrication, d’un luxe fait pour être porté, manipulé, vécu et vivant, beau mais jamais superficiel ou superflu.
J’avais mis beaucoup d’attentes dans cette exposition retraçant le parcours du créateur dans la Maison et j’ai été tout sauf déçue.
La scénographie est simple : une moitié de l’exposition est immaculée, l’autre est orange, créant en deux temporalités parallèles, celle de Margiela et celle d’Hermès, ponctuées de vidéos de défilés et de mannequins mettant et enlevant les vêtements Hermès pour en dévoiler les secrets. Le parcours est immédiatement compréhensible et accessible mais incroyablement soigné, à l’image des pièces qu’il présente. Les photos sont interdites mais on n’a pas tellement envie de s’interrompre pour en prendre.
Les créations sont classées selon le vocabulaire de Martin Margiela, c’est-à-dire selon les éléments auxquels il prête attention. Manches, superpositions, coutures, trompe-l’œil, matières… Chacun est traité d’une façon quasiment opposée dans les collections Hermès et Margiela.
Evidemment, le risque de faire dessiner les collections Hermès par Martin Margiela était grand. En 1997, il a repris les proportions de sa première collection pour la Maison pour s’adapter plus à ses codes, il a refusé de créer des carrés, il a chamboulé les défilés en faisant défiler des mannequins de tous les âges.
Mais force est de constater que Martin Margiela s’est glissé à merveille dans l’excellence et la simplicité d’Hermès.
La couture s’affiche chez Margiela et se cache chez Hermès, le cuir est abîmé chez Margiela et souple chez Hermès, la superposition est déstructurée chez Margiela et fluide chez Hermès, la robe de soirée est linéaire mais modulable sur fond orange, affectée de protubérances et volumes sur fond blanc.
Le travail de Margiela relève du génie. La greffe n’aurait peut-être pas pris si la maison n’était pas Hermès, s’ils n’avaient pas partagé de passion pour la noblesse de ce qu’est la mode, la noblesse d’un luxe qui n’est pas clinquant et qui est fait pour être porté, mais force est de constater que Martin Margiela a su prendre son vocabulaire pour parler le langage Hermès. Les mots sont les mêmes mais ne se traduisent pas tout à fait de la même façon. Tout est une question de contexte, de juste équilibre entre ce qu’il veut créer, ce avec quoi il veut jouer et ce que la femme Hermès ou la femme Margiela attend. On peut d’ailleurs se demander si nous ne sommes pas toutes un peu la femme Hermès et la femme Margiela, cette femme qui porte des vêtements pratiques, faits pour durer en s’adaptant à la vie et qui a envie de porter un vêtement exceptionnel sans être tape-à-l’œil, beau pour tous mais à la simplicité reconnaissable uniquement au regard averti.
Retrouvera-t-on un jour cette alchimie dans le monde de la mode ? Y aura-t-il un jour un créateur capable d’apposer sa patte en dessinant des vêtements qui portent autant sa patte que celle de la Maison pour laquelle il crée ? Il faut pour cela une histoire aussi précise que celle d’Hermès, l’audace de Jean-Louis Dumas, un vocabulaire aussi riche que celui de Martin Margiela, mais aussi sa capacité à écouter et à comprendre un héritage qui n’est pas le sien pour s’y fondre.
Un jour, peut-être.
En attendant, Margiela, les années Hermès est visible jusqu’au 27 août au Modemuseum à Anvers, rendant à des années d’exception un hommage d’exception.