Quelle est la meilleure partie des 40 ans du Centre Pompidou ? Sans doute le fait que sortent des réserves des œuvres que l’on ne voit pas en temps normal dans des espaces exceptionnels. Pour cette partie des célébrations, c’est la Monnaie de Paris qui a été investie par des oeuvres des collections nationales… ou plutôt le sol de la Monnaie.
L’exposition À Pied d’Œuvre(s) regroupe jusqu’au 9 juillet des sculptures qui interrogent le passage de la verticalité à l’horizontalité de leur art, de la matière travaillée sur le sol à l’œuvre qui s’efface avec le temps en passant par les témoignages vidéo d’œuvres in situ.
On retrouve dans l’exposition des œuvres qui se sont inscrites à leur façon dans l’Histoire de l’Art Moderne et Contemporain, par des artistes non moins mythiques et représentatifs de leurs courants. S’il était difficile de faire une exposition sur des œuvres au sol sans Carl André, on retrouve avant lui dans l’exposition sa compagne Ana Mendieta, dans une vidéo qui crée le lien entre le sol et son propre corps.
Les illustres modernes que sont Yves Klein, Giacometti et Duchamp renversent le rapport à l’espace en posant et éclatant à même le sol ce qui aurait été en temps normal accroché au mur – tableau, porte-manteau, scarabée montrent le renversement du vertical à l’horizontal.
Tatiana Trouvé et son Rock criblé de cadenas, Jean-Luc Vilmouth et son marteau entouré de clous, Fabro et son symbole infini lesté de marbre font peser tout le poids de l’art sur le sol de la Monnaie.
Michel Blazy, Tony Cragg, Claudio Parmiggiani et James Lee Byars interrogent la matière, qu’il s’agisse de papier toilette, d’objets trouvés sur des chantiers, de pigments purs ou de verre…
Le sol est aussi lieu de performance — pour ORLAN avec le MesuRages du Centre Pompidou et pour Jochen Gerz, dont l’œuvre est peut-être la plus impressionnante de l’exposition. Si le Red Angel of Marseille de James Lee Bryars est une installation exceptionnelle pour la façon dont la lumière joue dans les 100 billes de verre rouge symbolisant l’immortalité, la salle de Jochen Gerz est une trace. La trace d’heures passées à inscrire le mot “vivre” à la craie à même le sol pour qu’il soit effacé peu à peu par les pas des visiteurs qui s’approche du cartel en verre qui ne dit rien d’autre que la vacuité de la vie.
L’exposition interroge, c’est certain – sur l’art, sur nos propres vies, sur la place de l’artiste dans la société. Comme souvent à la Monnaie, À pied d’œuvre(s) touche, laisse les visiteurs deviner ce qui se cache derrière les œuvres, creuser les jeux de mots, les sens cachés, les questions. Sous les ors de ces salons anciens, les oeuvres résonnent différemment que dans un white cube, elles deviennent un ornement du sol sous la richesse des murs et des plafonds, et leur valeur visuelle indéniable fait qu’elles existent pas elles-mêmes tout en répondant à la perfection à leur environnement. On regrette peut-être simplement de manquer d’explications aux côtés de chaque œuvre, mais c’est peut-être aussi ce qui fait le charme de la Monnaie de Paris : le lieu pose des questions sans forcément y répondre.