Jusqu’au 4 juin, l’Institut du Monde Arabe propose The Enemy, une expérience en réalité virtuelle conçue par le reporter Karim Ben Khelifa et où le visiteur rencontre les combattants des zones de guerre.
Je dois avouer que je ne savais pas grand chose de The Enemy en y allant : je savais que c’était en réalité virtuelle, que ça durait environ une heure, que ça parlait des conflits au Salvador, au République démocratique du Congo et en Israël-Palestine et que c’était en partie produit par France Télévisions. Mais ça a suffi à me convaincre pour acheter une place.
Je ne savais pas donc pas vraiment à quoi à m’attendre et appréhendais même à vrai dire un peu de me retrouver dans une scène de guerre avec des bombes qui font sursauter (oui, même en VR, alors que c’est à des années-lumières des dangers de la réalité…).
En fait, l’expérience est tout aussi étrange dans un genre très différent. On traverse trois salles de musées (une par conflit) en réalité virtuelle où se font entendre les bruits des conflits. Chacune contient deux photos de Karim Ben Khelifa qui se font face et se transforment en portraits de guerriers quand on s’en approche, alors qu’une voix présente chaque personnage – un pour chaque camp du conflit. Apparaissent ensuite les avatars de chaque combattant pour raconter, à travers des interviews avec Ben Khelifa, leurs espoirs (ou leur absence d’espoir), leur définition de l’ennemi, leur première expérience de la violence, leur historique du conflit et les enjeux qu’il représente pour eux… Des capteurs dans toute la salle analysent les mouvements de chaque visiteur (6 max par session), à la fois pour une expérience personnalisée et pour éviter qu’on se rentre dedans (eh oui). L’ordre des salles n’est pas le même pour chaque visiteur : je suis arrivée dans la narration autour du conflit israëlo-palestinien en dernier parce que j’ai déclaré au préalable que c’est celui sur lequel j’avais le plus d’informations.
“On s’affronte depuis des années avec pour seule conséquence la mort.”
L’expérience est perturbante parce qu’on ne s’attend pas vraiment à ce que la VR recrée une galerie de musée avec cadres et cartels, très proche du white cube, pour y faire évoluer des personnages du bout du monde. Sortir à ce point des combattants de leur contexte pourrait donner l’impression qu’ils deviennent des objets d’exposition et créer de la distance. Pourtant, ils deviennent étonnamment proches. Les conversations que Ben Khelifa a menées dans son studio de tournage en VR planté en zones de conflit donnent le juste niveau d’histoire personnelle et d’aspirations universelles pour se sentir proche de chaque combattant. On sait aussi que l’on vient pour profiter d’une expérience complète, on y va sans trop de préjugés (même si un questionnaire rempli à l’entrée personnalise l’expérience, notamment en fonction du niveau de connaissance de chaque conflit).
Le fait de n’avoir que des avatars en face fait perdre tout complexe : on les écoute, ils nous suivent du regard, on les dévisage, on en fait le tour pour mieux les voir et les détailler.
À la fin, une quatrième pièce présente le combattant dont le visiteur est le plus proche – on y comprend la participation du MIT : l’analyse des réactions et mouvements de chaque participant. Son ennemi apparaît alors pour donner sa vision de la paix et ses arguments en faveur de la paix, alors qu’une voix off remet aussi en perspective les expériences racontées avec le questionnaire rempli au début et dont la première question est “que pensez-vous de la guerre ?”
Au final, peut-être que transplanter des personnages au vécu des différents de notre quotidien dans les murs d’un musée, univers relativement proche et protégé, est la meilleure façon d’assurer cette part de sécurité qui nous permet de lâcher prise et de leur consacrer toute notre attention.
The Enemy, une expérience qui interroge notre propre humanité face au conflit, à vivre jusqu’au 4 juin à l’Institut du Monde Arabe (par sécurité, réservez votre créneau sur le site !) puis peut-être ailleurs en France et dans le monde et à prolonger bientôt grâce à l’app mobile.