C’est l’histoire d’une femme. Une femme qui a l’air un peu folle. Une femme qui attend, mais on ne sait pas bien qui. Un homme. Il paraîtrait qu’elle est juive. Et aristocrate. Peut-être qu’elle attend un nazi. Que la guerre bat son plein et qu’elle est la seule survivante de sa famille. On ne sait pas bien, le texte offert par Nathalie Dessay ne permet que de deviner, de supposer, de naviguer les incertitudes.
Natalie Dessay (que j’ai eu la chance de voir pour la première fois sur scène) incarne à la perfection cette femme plein de doutes, d’artifices et de méandres. Elle transpire la détresse sans que l’on sache si la folie qui l’habite est la cause ou la conséquence de cette détresse, si elle vient l’adoucir ou l’exacerber. A-t-elle bien conscience du monde qui l’entoure et qu’elle nous transmet ? Nous donne-t-elle à voir ses propres illusions ? Elle nous emporte en tout cas dans un monde où tout est effleuré et rarement nommé, où on ne sait plus à quoi s’accrocher, où des éléments épars appellent des images mais pourraient n’être liés à rien de collectif. Des bruits, des mots, des émotions font écho à la seconde guerre mondiale, mais comment en être sûrs ?
Et puis il y a toute cette glace. Ces lames qui pendent au plafond, fondent, tombent aléatoirement, répondant aux bris de verre que l’on entend parfois. Cette glace qui trempe l’héroïne qui perd ses atours et se dévoile au fil du texte presque involontairement, presque malgré elle.
C’est un texte troublant habité et rempli par la troublante présence scénique de Natalie Dessay, immobile, un peu contrainte, chrysalide emprisonnée dans la robe créée par Virginie Gervaise et pourtant irradiant la scène dans l’exercice du texte dit et non chanté pour ses premiers pas au théâtre.
Elle est une comédienne exceptionnelle qui se met à nu derrière le texte de Howard Barker mis en scène par Jacques Vincey, chrysalide emprisonnée dans la belle . Une rencontre frontale qui coupe le souffle, à faire jusqu’au 14 mai au Théâtre des Abbesses (si si, il reste des places !)