Stéphane Braunschweig propose à la salle Richelieu jusqu’à la fin juillet un Britannicus fabuleux, dans lequel Britannicus se laisse presque oublier.
Ce Britannicus était la deuxième mise en scène que j’ai vu de ce texte de Racine, la première étant de Jean-Louis Martinelli aux Amandiers il y a quelques saisons déjà (si j’allais plus souvent à la Comédie-Française, j’en aurais sans doute vu plus, Britannicus étant selon Wikipedia la deuxième pièce la plus jouée au Français, après Andromaque). Bien que j’aie beaucoup aimé l’équilibre apporté par Martinelli, avec des personnages tous sombres, j’ai trouvé chez Braunschweig une magnifique lecture du duo formé par Agrippine et son fils Néron.
Incarnée par Dominique Blanc (pensionnaire de la Comédie-Française depuis quelques mois à peine et plusieurs fois moliérisée, dont la dernière pas plus tard qu’hier), Agrippine est cette puissance déchue mais encore pleine de gloire qu’est une mère d’empereur. Elle est forte, blessée, sûre d’elle, inquiète, poussée dans ses retranchements et Néron est face à elle d’abord faible et lâche, cédant au pouvoir que sa mère aimée du peuple exerce sur lui, puis trop volontaire et affirmé tel un futur tyran. Dans cette pièce, c’est – entre les intrigues amoureuses et les trahisons du petit personnel – la bascule de pouvoir de l’une à l’autre qui est intéressante.
L’histoire qui lie Britannicus et Junie n’est finalement que la cause et la conséquence de pouvoir que cherche à assouvir Néron. Ils s’aiment, Néron pense avoir du pouvoir sur eux mais n’en a au final aucun. Bien au contraire, ils vont sans le vouloir (et ils sont dans la pièce bien innocents) décupler la violence en l’empêchant d’obtenir celle à qui il tenait le plus, Junie.
Pour Braunschweig, Rome est une entreprise familiale où tout se décide entre deux portes, dans les couloirs, selon l’allégeance du peuple et des gouvernants. C’est la naissance d’une mafia d’Etat, où les coulisses se devinent sur scène et les tables de réunion collégiales sont trop grandes pour si peu de dirigeants. Ce décor m’a d’ailleurs au départ perturbée – j’irais même jusqu’à dire que j’ai mis quelques jours à me défaire de l’impression que cette table gigantesque et placée au centre de la scène ne servait à rien, avec sa dizaine de chaises très peu occupées, alors que le jeu de couloir en fond de scène laissait subtilement deviner ce qui aurait dû être dérobé. Et puis j’ai compris que c’était peut-être cette impression que Braunschweig voulait laisser.Les personnages secondaires ne sont pas moins déterminants que les duos formés par Agrippine et Néron et Britannicus et Junie. Burrhus, gouvernant de Néron plus clément que son souverain, et Narcisse, gouvernant de Britannicus s’approchant trop près du pouvoir, sont révélateurs de équilibres qui changent, ils apportent la vision du peuple, sont ceux qui pensent – pas toujours bien – les conséquences des actions de chacuns. Albine, confidente d’Agrippine, est une participante lointaine, un témoin de son époque, qui s’efface pour mieux observer les intrigues et les drames.
C’est elle qui raconte le soulèvement du peuple face à son empereur, la fin d’une ère et le début d’une précédente.
Cette mise en scène est la première incursion de Stéphane Braunschweig dans le théâtre classique. Les mots de Racine, il se les approprie en les transposant dans le contexte contemporain dont il a l’habitude. Britannicus devient ainsi un drame encore plus universel et fondateur.
À voir absolument (même si vous n’aurez peut-être pas comme moi la joie de faire de l’eye contact avec Christophe Barbier dès l’entrée et de voir Lionel Jospin et Marisol Touraine en chair et en os dans le public) pour réentendre Racine.