La Villa Cavrois a réouvert en juin dernier à Croix près de Lille après 13 années de rénovation. La visiter, c’est découvrir sans doute l’un des plus beaux édifices conçus grâce à la prospérité de l’industrie textile dans le Nord.
Le Nord a longtemps été un centre de l’activité textile française. Valenciennes avait la dentelle la plus fine, Roubaix l’industrialistion et les innovations sociales et Croix… les maisons des riches industriels. C’est donc tout naturellement là que Pierre Cavrois a choisi de faire construire une demeure dont la démesure n’aurait d’égal que celle de son empire. Une villa de style Bauhaus conçue par Mallet-Stevens, toute en lignes droites et courbes pures, avec ses nombreuses chambres, sa piscine, son miroir d’eau et son parc.
En 1932, lorsque la construction de la villa fut achevée, Pierre Cavrois s’y est installé avec sa femme. Le lieu a ensuite suivi les mutations de la famille jusqu’à la disparition de Madame Cavrois en 1985 et la vente de la villa au promoteur immobilier qui a voulu lotir le parc.
Les meubles sont alors divisés en lots, vendus aux enchères pour certains, bradés à des antiquaires pour la plupart (toutes les époques n’ont pas été aussi clémentes que la nôtre à l’égard du mobilier vintage).
Bien conscient de la valeur de cette bâtisse et du risque encouru en cas de transformation, l’Etat s’alerte alors et la Villa est classée monument historique en 1990 pour empêcher tous travaux. Mais cela arrive parfois, les choses traînent. Que faire de cette immense maison vide ? Personne ne semble avoir la réponse ou les moyens de ses ambitions, à l’exception peut-être des squatteurs, qui occupent la maison, la tagguent, l’abîment encore plus que le temps ne l’avait abîmée.
Pourtant, 11 ans plus tard, l’Etat rachète la Villa. Commence alors un chantier qui a pris fin il y a quelques mois à peine, grâce au travail de fourmi des conservateurs qui ont analysé au scalpel les couches de peintures pour rendre aux murs leur couleur d’origine, observé les photos en noir et blanc pour trouver la bonne nuance de draps, chassé autant que possible les meubles éparpillés.
Il reste dans la Villa Cavrois des pièces vides, parce que c’est difficile de tout rassembler, parce que la trace de certains objets a été perdue. Pourtant, on est admiratif de ces angles, de ce gigantisme, de ces grands espaces et de cette opulence, caractéristiques à la fois d’une époque, d’une classe sociale et d’un certain goût pour l’avant-garde.
On se surprend à imaginer les garden parties qui pouvaient animer le parc, les hommes discutant dans le fumoir, les enfants jouant dans leur salle de jeu. Plus personne n’habite ici depuis bien longtemps, et pourtant on a la sensation de pénétrer l’intimité d’une famille, même sans se plonger à fond dans l’excellent guide en réalité augmentée qui donne sur iPad une reconstitution du mobilier et des images d’époque.
La visite de la Villa Cavrois, c’est une parenthèse dans un lieu en avance sur son temps et où le temps s’est arrêté. C’est un espace où chaque chose a été déplacée et pourtant chaque chose est à sa place. Le temps d’un après-midi à Croix, on est les invités des Cavrois et on profite un peu de leur excentricité.