J’avais entendu parler depuis longtemps des soirées Les Jeunes ont la parole, mais pour une raison obscure, je n’y étais jamais allée. C’est réparé grâce à un parcours concocté par Sophie Cottard, chargée du programme, qui nous a guidés pour rencontrer les médiateurs d’un soir un peu partout dans le Louvre. Les centaines d’étudiants – qu’ils soient en médecine, Histoire de l’Art, école vétérinaire, école de comm – sont vraiment dans l’échange et le partage, ils s’adaptent au niveau de leur public, répondent patiemment aux questions. En tant que visiteurs, on peut picorer et se balader d’oeuvre en oeuvre, c’est vraiment agréable… et on a même eu la chance d’entendre des étudiantes chanter et jouer des airs baroques devant un tableau de Poussin.
En attendant la prochaine soirée Les Jeunes ont la parole le vendredi 27 mars, laissez-moi partager avec vous quelques petites choses que j’y ai apprises !
Oeuvres vues : Portrait de Mme Récamier, Le Radeau de la Méduse, L’Intervention des Sabines, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, Faune endormi
Portrait de Mme Récamier, de David
Ce portrait est daté de 1800, date à laquelle David a commencé ce tableau. Bien qu’il ait été une commande de Mme Récamier, il a été considéré par David comme un travail d’atelier, et ses élèves venaient s’entraîner en en peignant des portions. Le candélabre, par exemple, pourrait être d’Ingres, qui se serait inspiré de la pose de Mme Récamier pour son Odalisque. Le problème, c’est qu’en voulant apprendre aux autres, David a laissé traîner le tableau. Ainsi, Mme Récamier s’est impatientée et a confié la réalisation de son portrait à Gérard, alors élève de David. Celui-ci, vexé, a alors arrêté de travailler ce tableau, qui est resté dans un coin de l’atelier. Cela explique notamment les finitions (la surface du mur, les bords des coussins…) qui ne sont pas de la précision que l’on attend d’un tableau de l’époque. Pour résumer : au 19e, ce truc était une croûte.
L’étudiante l’avait choisi parce que… elle était à l’école du Louvre, et le tableau a une position intéressante dans l’Histoire de l’Art : l’impressionnisme étant passé par là, le flou de certains détails du tableau ne nous gêne plus aujourd’hui, mais disqualifiait complètement le tableau à l’époque du néoclassicisme.
Le Radeau de la Méduse, de Géricault
Je suis surtout repartie de cette présentation avec trois infos : 1. Géricault a volé des corps à la morgue pour s’en servir comme modèles, 2. Si quasiment tout les pieds du tableau sont couverts de chiffons, c’est que Géricault ne savait pas dessiner les pieds (ça nous fait un point commun !)(l’expression “dessiner comme un pied” viendrait peut-être de là) et n’était visiblement pas pressé d’apprendre, 3. Géricault a longtemps traîné au Havre pour apprendre à peindre la mer.
L’Intervention des Sabines, de David
Je pourrais vous parler des modifications que David a apporté à sa première version du tableau pour le rendre plus néoclassique, en ajoutant notamment des enfants aux pieds d’Hersilie (qui essaie d’empêcher son mari Romulus de tuer son père Tatius), en la recoiffant, en changeant la forme du bouclier de Romulus. Mais ce sont surtout deux éléments du tableau qui sont intriguent : le bonnet frigien au-dessus du casque de Romulus et la prison du Moyen-Âge en arrière plan. Si la scène principale date de l’Antiquité, David s’adresse ici à ses contemporains. Ce tableau dont il a eu l’idée quand il était révolutionnaire emprisonné au Luxembourg présente ce qui est pour Hersilie une guerre au sein d’une seule et même famille, ce qui permet à David de faire un parallèle avec les tensions qui agitent le camp des révolutionnaires, qui devraient plutôt tous ensemble oeuvrer pour la République.
L’étudiante l’avait choisi parce que… Mme Récamier était déjà prise ! Etudiante à l’Ecole du Louvre, elle a donc choisi de voir ce qu’elle pouvait faire un avec tableau qu’elle n’avait pas encore étudié.
Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, de Jacques-Antoine Gros
On voit ici Napoléon rendre visite à ses soldats ayant attrapé la peste bubonique durant la campagne d’Egypte. C’était vraiment intéressant d’en parler avec une étudiante en médecine, qui explique pourquoi on pratiquait encore la saignée à l’époque, pourquoi ça n’était pas vraiment utile de se cacher la bouche (utile uniquement en cas de risque réel d’aspiration de particules), pourquoi c’est beaucoup moins courageux qu’on ne croit de la part de Napoléon de toucher un bubon (aucun risque ou presque de choper la peste). Intéressant aussi de savoir que Napoléon a fait peindre ce tableau juste avant son sacre, pour redorer son image après des bad buzz venus d’Angleterre, l’accusant notamment d’avoir filé du cyanure à ses soldats pestiférés, avec ou sans leur accord, pour qu’ils meurent plus vite.
L’étudiante l’avait choisi parce que… elle est en médecine et Gros a peint des malades.
Faune endormi, de Bouchardon
Savez-vous ce que ce faune a de particulier par rapport à tous les autres ? Il dort (= il n’est pas en train de courir après les femmes, l’érection au vent et avec de la vinasse dégoulinant de partout #partyhard), et on ne voit pas au premier coup d’oeil que c’est un faune, puisqu’il a une petite queue, de oreilles pointues mais discrètes et pas d’attributs comme des sabots. Ce faune endormi, la légende raconte que c’est celui que Midas aurait trouvé et aurait dealé avec Dionysos contre le pouvoir de transformer tout ce qu’il touche en or. Deux façons d’interpréter l’histoire de Midas : a. il est super malin, c’est la seule personne à avoir réussi à capturer un faune ; b. c’est un boulet parce que tout transformer en or, ça marche aussi avec tes proches et la nourriture que tu veux ingérer – pas pratique. Louis XV a choisi de garder la réponse a et de demander à Bouchardon de copier la statue d’origine, datant de l’Antiquité et découverte au XVIIe siècle, pour montrer qu’il était lui-même super malin.
L’étudiante l’avait choisi parce que… elle se demandait pourquoi diable un roi voudrait de cette statue quelque peu indécente (contrairement à d’autres nus de la Renaissance, la position du faune donne un peu l’impression qu’on ne devrait pas être là, non ?).