Imaginez que vous n’êtes plus face aux oeuvres mais dans les oeuvres. Imaginez qu’elles n’attendent plus que vous leur accordiez de l’attention mais qu’elles vous enveloppent, vous oppressent, inévitables. Imaginez qu’au lieu d’une exposition, vous traversez des univers.
C’est ce que nous propose le Palais de Tokyo jusqu’au 11 janvier avec Inside. L’exposition démarre avec Tape, l’impressionnant labyrinthe de scotch que le collectif Numen/For Use a mis 2 semaines à construire dans le hall du Palais de Tokyo. En l’explorant, on oscille entre le confort rassurant d’un cocon de chrysalide et le froid aseptisé d’un igloo suspendu (et pour mon mec, on ne peut saisir toute la portée oppressante du lieu si on n’a pas vu de film d’horreur des années 90).
Cette hésitation entre la chaleur et l’angoisse représente bien Inside. Les univers se succèdent et ne se ressemblent que par l’expérience complète qu’ils créent ou suggèrent, on pousse à chaque fois la porte d’un esprit différent – mais souvent perturbant. On a le plaisir de pouvoir jeter un oeil à l’intérieur de l’ours dans la peau duquel Abraham Poincheval a passé 13 jours au MCN, on contourne l’oeuvre d’Andro Wekua en se demandant ce que peut bien penser cette jeune fille à la tête enfermée dans une maison, on regarde les vidéos d’Araya Rasdjarmrearnsook avec l’idée que converser avec un mort, c’est aussi projeter sur lui sa propre histoire.
Et surtout, après avoir vu des oeuvres, on est happé. Doucement d’abord avec l’atelier chaotique de Mark Manders, puis happé par le bruit de cet homme qui tousse dans une vidéo de Boltanski. Happé par le malaise causé par les vidéos d’Artur Zmijewski. Happé par le gigantesque graff noir et blanc de Dran, artiste à qui le Palais de Tokyo a confié tout un escalier et dont une visiteuse à côté de moi a dit qu’il est « perturbé, quand même » – perturbé, peut-être, mais surtout incroyablement sensible. Happé par le blanc immaculé du désert futuriste de Berdaguer & Péjus.
Nos sens sont surstimulés tout au long de la visite, on est désorienté, on en a trop vu, trop ingéré, trop ressenti, et on comprend bien l’intérêt de la douce installation de Bruce Nauman, comme un sas de décompression en fin d’exposition. Une exposition où toute entrée est définitive et qui n’a qu’un seul sens : celui de la traversée à parcourir au Palais de Tokyo avant le 11 janvier.